Le continent et les cinquante-cinq pays et états africains

 Thème  : l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme (passé, évolution et présent). Les futurs enjeux social et économique de l’Afrique.

 

L’Afrique nouvelle flotte entre l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme.

L’Afrique actuelle est en totale faillite économique, sociale et humaine.

Proposition de la tenue du VIIIème congrès du panafricanisme en 2018 à Addis-Abeba.

 

La vieille Afrique, origine de l’humanité et âgée de cent quarante-deux mille ans, meurt à Berlin en 1885 (il y a de cela cent trente-deux ans : 1885-2017), par décision de l’Europe voulant réinventer son voisin du sud de la Méditerranée, le continent africain. Celui-ci, livré depuis des siècles au fléau des esclavagismes, aux guerres interethniques (permanentes depuis des millénaires) ainsi qu’au retard en matière d’évolution, est resté cloué à l’âge de fer, voire à l’âge de pierre (pour certains aspects de son existence). En résumé, l’Afrique stagnait à l’époque d’il y a trois mille ans par rapport au présent.

Ainsi, l’Afrique, dont l’évolution a été bloquée pendant des millénaires, fut incapable d’accéder à l’auto-réinvention.

Par l’entreprise de la conférence européenne de Berlin, l’Europe a mis fin à l’Afrique antique. Elle a conçu et créé l’Afrique nouvelle, née des entrailles de la colonisation européenne en 1960, au terme de trois quarts de siècle (1885-1960) d’accompagnement (c’est-à-dire de colonisation) du continent et des pays africains, nés à Berlin grâce au rassemblement des mille milliers d’entités ethniques constituant la mosaïque d’états premiers (ou primitifs) de l’Afrique précoloniale.

L’Afrique nouvelle et la demi-centaine des nouveaux pays conçus par l’Europe en 1885 ont été créés à l’image des pays et des états modernes européens actuels (eux-mêmes modelés par le Congrès de Vienne de 1815). Cet acte historique fait de l’Afrique nouvelle la fille adoptive du couple Europe-capitalisme, ainsi que la nièce de l’Occident.

Dès l’accession des pays africains aux indépendances en 1960, l’Afrique nouvelle a été traversée par le double courant de l’afro-optimisme et de l’afro-pessimisme. Les deux courants d’opinion animent le continent africain des indépendances depuis bientôt six décennies, soit tout au cours des cinquante-sept ans depuis l’accès aux indépendances (1960-2017).

La première décennie des indépendances (1960-1970) a été marquée par le courant de l’afro-optimisme. Ce sont les accueils des indépendances africaines, du statut d’états accordé aux pays africains (conçus par la conférence de Berlin en 1885), de la qualification de nations africaines accordée à ces nouveaux pays et états indépendants, de l’adhésion de ces pays/états/nations au sein de la communauté internationale en qualité de membres de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.). Il s’agit également de l’accession à la communauté des pays et états africains incarnée par l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.) créée en 1963 afin de garantir l’inviolabilité des frontières et l’intégrité des pays africains, devenus états indépendants après la colonisation européenne de 1885 à 1960. Tout cela représente autant d’événements historiques qui ont été la source de l’afro-optimisme au cours des années 1960. Ce fut l’époque d’accès de l’Afrique, morte à Berlin et réinventée par l’Europe à Berlin en 1885, à la Renaissance africaine au travers de l’Afrique nouvelle, des pays et des états africains nouveaux, républicains et démocrates.

Cette renaissance est toujours d’actualité et porte les couleurs des idéaux des républiques et des démocraties. Elle est donc aux couleurs de la Renaissance européenne après le Moyen Âge. Ainsi c’en fut de l’Afrique après la colonisation.

Les trois décennies suivantes (de 1970 à 2000) ont été marquées par le courant contraire : l’afro-pessimisme. Les années 1970-1990 ont été celles des nombreux coups d’état à répétition, des gouvernances de dictatures militaires et de partis uniques. La fin des années 1980-1990, quant à elle, a été marquée par la chute du mur de Berlin entre le bloc capitaliste de l’ouest et le bloc communiste de l’est. Le vent soulevé par cet événement a plongé l’Afrique dans une ère de conflits armés d’absurdes autodestruction, d’auto-colonisation et d’auto-déshumanisation africaines tout au long de la dernière décennie du XXème siècle (1990-2000). Ce fut l’époque du naufrage du continent africain, précipité depuis l’afro-optimisme des années 1960-1970 dans les ténèbres de l’afro-pessimisme généralisé, en Afrique et dans le monde, durant les années 1970-2000.

Dans un article publié par l’hebdomadaire franco-africain « Jeune Afrique » de l’édition du 05 octobre 1994, à propos du naufrage de l’Afrique dans l’abîme de l’afro-pessimisme, le célèbre journaliste new-yorkais William Pfaff soulignait que : « seule l’Europe peut sauver l’Afrique ». Il invita l’Union européenne à entreprendre de tirer du naufrage le continent africain en perdition et de le remorquer vers un meilleur avenir (c’est-à-dire le recoloniser) pendant au moins un demi-siècle, voire pendant un siècle. Dans l’article « L’Afrique suicidaire » publié à la une du journal « Le Monde » du 18 mai 2002, le centrafricain Jean-Paul Ngoupande, professeur universitaire en France, soulignait que le naufrage de l’Afrique est de la faute des dirigeants africains, fossoyeurs des aspirations de leurs peuples. Pour sa part, le journaliste franco-américain Stephen Smith, au terme de vingt ans de parcours à travers l’Afrique, a publié fin 2003 un ouvrage répondant au titre de : « Pourquoi l’Afrique meurt ? ». Il en vient à observer que « l’Afrique est un continent au présent sans avenir ». En clair, l’Afrique naufragée est dans le mur.

Depuis trois à quatre ans (2013-2017), un certain afro-optimisme tente de remonter à la surface. Tel est le cas des annonces proclamant que l’Afrique est un continent d’avenir. C’est aussi le cas du rêve des dirigeants africains de faire de leurs états des pays émergents : ils affichent le rêve de Chines, de Singapours et de Suisses africains. L’Union africaine affiche le rêve des États-Unis d’Afrique. « Le rêve fait vivre: c’est le je rêve, donc j’existe ! ».

À quoi tient cet afro-optimisme de récente actualité ? Il ne s’inspire pas de l’avenir déjà perdu des populations africaines. L’afro-optimisme d’aujourd’hui est notamment l’expression de l’espoir des multinationales du capitalisme occidental et oriental de se tailler des parts de marché sur le vaste continent africain, destiné à devenir un immense marché de commerce et de consommateurs, tel que prévu au troisième volet de l’agenda de Berlin de 1885.

L’Afrique est le continent le plus mondialisé. Dans le contexte de la mondialisation du commerce et de la consommation, l’Afrique compte actuellement 1,2 milliards de consommateurs potentiels qui seront 2 milliards de consommateurs d’ici moins de trente-trois ans, en 2050. C’est un marché d’avenir pour les divers conquérants, comme les multinationales occidentales et orientales en concurrence dans le monde et surtout en Afrique.

À ce titre, le continent africain est un enjeu important et majeur pour les puissances économiques mondiales. Voilà pourquoi, ces derniers temps, nous entendons, ici et là, affirmer que : « l’Afrique est le continent d’avenir ». Ce concept d’afro-optimisme surgit de l’impression que l’Afrique et certains de ses pays se retrouvent sur la voie de la croissance ; voie faisant appel aux investissements destinés à favoriser la transformation du continent africain en marché de commerce et de consommation des produits manufacturés qui séduisent les populations africaines. Ce sont des produits de communication technologique, de beauté cosmétique, de boissons modérément alcoolisées, etc.

L’Afrique a besoin d’investisseurs, et les multinationales d’Occident et d’Orient sont prêtes à satisfaire ce besoin. Ainsi, l’afro-optimisme s’affiche au travers de l’espoir de ces multinationales appelées à développer l’Afrique.

Cette perspective des multinationales qui souhaitent prendre d’assaut l’Afrique pour leurs intérêts rencontre la vision des dirigeants africains qui, eux, rêvent de faire de leurs états des pays mondialisés et émergents. Ainsi, l’afro-optimisme d’intérêts des sociétés multinationales alimente l’afro-optimisme artificiel des dirigeants. Les élites africaines partagent le même afro-optimisme que les dirigeants africains : elles jubilent aux annonces des taux de croissance (pourtant préfabriqués !) attribués à l’Afrique en général et à certains pays africains particulièrement.

Ce sont de faux taux de croissance économique et fabriqués pour épater les dirigeants et les élites africaines. Voilà ce qu’il en est du camp de l’afro-optimisme des multinationales, des dirigeants et des élites d’Afrique.

En ce qui concerne le camp de l’afro-pessimisme dans lequel baigne le continent africain, tout au long de bientôt six décennies des indépendances africaines (1960-2020), l’Afrique a assisté à la déferlante des fuites de ses populations, jeunes et moins jeunes. Celles-ci quittent leurs pays et leur continent malgré tous les risques et périls (par exemple, le risque de perdre la vie) pour aller chercher un meilleur avenir partout ailleurs, notamment en Europe. Pour des millions d’Africains qui fuient le continent des violences, des famines, des conflits armés, de l’autodestruction, de l’auto-colonisation et de l’auto-deshumanisation, l’Afrique n’est pas le continent d’avenir. Au contraire, elle est le continent de la désespérance, le continent qu’ils fuient à tout prix. La fuite en masse de jeunes et de moins jeunes Africains qui meurent dans les déserts africains et dans les mers autour du continent africain (dans les mers Méditerranée, Rouge, dans les océans Atlantique et Indien, etc.) est le signe de la désespérance des populations africaines qui ne voient aucun avenir en Afrique.

Ainsi donc, le mur de l’afro-pessimisme qui se dresse devant elles les poussent à fuir leur continent sans espoir.

Il existe quelque chose de pire que le flottement de l’Afrique entre l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme. Le tsunami social africain gronde à l’horizon et s’apprête à s’abattre sur le continent africain, à la surprise des élites et des dirigeants africains : le raz-de-marée des millions de sans-emplois africains, de sans-abris, d’enfants des rues, d’affamés, de chômeurs, de jeunes diplômés livrés à eux-mêmes et à l’illusion de devenir des businessmen imaginaires, de jeunes filles diplômées livrées au commerce de leur corps pour survivre dans l’environnement africain devenu hostile à la jeunesse africaine, et d’Africains jeunes et adultes accablés par la misère, la pauvreté, le désœuvrement et la désespérance. Voilà ce qu’il en est du continent et des peuples africains, tous piégés dans une situation sans issue. Le continent africain est en faillite humaine et sociale.

Les dirigeants et les élites de l’Afrique, toutes catégories confondues, sont dans l’incapacité d’y faire face. Ils n’ont pas les moyens financiers et les capacités pour résoudre les problèmes déchaînés par ce tsunami social. Les multinationales seront les seules capables de leur venir en aide pour faire face à ce tsunami social. En effet, elles seront capables de financer et de gérer les projets et les plans de développement, ainsi que de créer des millions d’emplois pour les millions d’Africains. Il faudra engendrer des centaines de millions d’emplois rémunérateurs en Afrique. C’est à cette condition que les élites et les dirigeants africains pourront réaliser l’épanouissement de leurs peuples et l’émancipation de leur continent, qui, autrement, seront voués à l’avenir de la désespérance de ses populations.

Pour faire face à ce défi d’épanouissement des peuples africains et d’émancipation de l’Afrique, les dirigeants africains, les élites africaines et les multinationales devront négocier un plan Marshall panafricain ayant pour unité de référence l’investissement de 4.000 euros par personne et par an pendant les trois à quatre prochaines décennies. Il faudra tenir compte du fait que les populations africaines actuelles s’élèvent au nombre de 1,2 milliards de personnes africaines, qui seront 2 milliards en 2050, d’ici une génération. Autant dire qu’il faudrait prévoir dès à présent un investissement en Afrique. Nous calculons : 4.000 euros x 2.000.000.000 = 8.000.000.000.000 euros par an, à partir de l’année 2020, pendant les trente à quarante prochaines années, soit au cours des années 2020-2050 ou 2060. À partir de ce constat, il serait judicieux de se poser la question de savoir à qui serait confiée la tâche d’assurer la gestion de ce développement. Les négociateurs susmentionnés (dirigeants africains, élites africaines et multinationales) devront se mettre d’accord sur qui sera chargé de mener cette gestion pour relever le défi du progrès de l’Afrique et des Africains.

La démarche ci-proposée (celle d’utiliser les multinationales de financements et d’investissements en Afrique pour le développement économique et social au bénéfice de l’ensemble des peuples africains) vise à faire du continent africain le protagoniste du destin des populations africaines dans un monde de rapports de force ; un monde au sein duquel, jusqu’à présent, l’Afrique, meurtrie par l’esclavagisme, le colonialisme et la recolonisation, a été un enjeu, une proie, un objet à exploiter pour ses matières premières et un marché de consommateurs en perspective. Le réveil de l’Afrique, pour se libérer des chaînes du passé et pour redessiner elle-même son destin en tant que véritable protagoniste « gagnant-gagnant », est l’objectif réel de cette proposition de négociation portant sur l’avenir de développement économique et social, l’épanouissement et l’émancipation du continent africain et de tous ses peuples rassemblés en une unité, ranimée par et dans la paix, sur la voie du développement.

Les multinationales et les puissances économiques, dont elles émanent, sont des opératrices économiques incontournables partout dans le monde et, en l’occurrence, partout en Afrique. Dès lors, soit l’Afrique les ignore : elle est alors sûre que ces forces l’exploiteront sans contrepartie et sans merci ; soit l’Afrique tente de les combattre : elle peut alors être sûre qu’elle perdra la guerre contre ces entités et, ce, à leur profit. Ou, encore, l’Afrique entreprend de les soumettre au « jeu de partenariat gagnant-gagnant » à son profit. La Chine a opté pour cette solution pendant les quatre dernières décennies (1980-2017). Elle a su attirer et utiliser les multinationales d’Occident au service du remarquable développement économique chinois, au titre d’économie socialiste de marché aux couleurs chinoises. L’Afrique, qui se rêve future Chine ou, en tout cas, qui se songe États-Unis à l’esprit de puissance chinoise, pourra-t-elle domestiquer et maîtriser les multinationales d’Occident et d’Orient au service social des Africains ?

Dans ce cas et par ce choix, il est indispensable que l’Afrique se soumette à l’exigence de s’unir. C’est l’unité africaine.

Cette perspective devrait être l’un des thèmes à l’ordre du jour de la tenue du VIIIème congrès du panafricanisme, proposée à Addis-Abeba, en Éthiopie, en 2018, à l’occasion du soixantième anniversaire de la proclamation « l’Afrique doit s’unir », résolution du VIIème congrès du panafricanisme tenu à Accra, au Ghana, en 1958, à la veille de l’accession de l’Afrique et de ses pays aux indépendances acquises en 1960.

 

Rukira Isidore Jean Baptiste

Áditorialiste Afrique

Le 25.05.2017

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